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by | March 21, 2017 | Opinion

Lecture et comparaison des programmes et priorités santé des candidats à la présidentielle française

By Catherine Hartmann, Secrétaire Générale ECC, vice-présidente d’EPHA

Dans un récent article, Nina Renshaw exprime l’importance de l’Union Européenne dans la protection de la santé des Européens, au moment où l’on parle à Bruxelles des potentiels scenarios pour le futur de l’Union Européenne, et que l’on y évoque la possibilité de réduire considérablement le rôle de cette dernière dans le domaine de la santé publique, alors que les citoyens européens indiquent qu’ils souhaiteraient au contraire que l’UE soit plus impliquée dans la santé. Il y a une dichotomie entre ce que l’UE peut faire et souhaite faire pour le bénéfice des citoyens et ce qu’ eux en attendent.

Ceci se retrouve au niveau français, alors que tous les sujets importants sont débattus dans le cadre de l’élection présidentielle d’avril mai 2017.

Dans un récent sondage effectué par Opinion Way pour les Syndicat des Médecins Libéraux sur « la santé dans les enjeux présidentiels », la santé se place en 7ème position parmi les priorités des Français, après l’emploi, la sécurité, l’immigration, le pouvoir d’achat, les inégalités sociales.

Pour la majorité des sondés, les positions des candidats sur la politique de santé seront déterminantes dans leur choix au moment du vote et les Français font de ce thème un élément majeur de la campagne.

Les réponses étant prédéfinies dans ce questionnaire, et visant à renseigner des médecins libéraux, on se doit de pondérer le résultat de ce sondage avec les éléments contextuels et par les choix faits par les médecins de ces réponses. Il en reste néanmoins que la santé est un enjeu en France comme dans le reste de l’UE, social, financier et politique important, les Français souhaitant des réformes mais à petites touches.

Cette importance ne se reflète ni dans la quantité des propositions des principaux candidats à l’élection présidentielle, ni dans leur contenu, que ce soit dans leur programme ou leurs discours.

Au-delà des expressions de leurs souhaits (les « je veux » répétés de chacun des candidats), les idées et suggestions d’Emmanuel Macron, François Fillon, Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen sont peu ou pas chiffrées, ni dotées d’explication sur la façon de les obtenir et de les mettre en place.

Certaines propositions sont irréalisables alors que d’autres apparaissent peu ambitieuses, mais ce faisant, plus à même de devenir réalité, sans doute : Emmanuel Macron est celui qui fait le moins de propositions, François Fillon le plus, Benoît Hamon, les plus réalistes mais avec peu d’envergure, Jean-Luc Mélenchon celles qui sont les plus utopistes (car le budget qu’il faudrait y consacrer ferait exploser les dépenses publiques) et Marine Le Pen, les plus restrictives et discriminatoires.

Beaucoup de thèmes sont communs aux candidats mais chacun a un élément qui lui est unique : Jean-Luc Mélenchon souhaite renforcer la formation des médecins sans support des labos pharmaceutiques, Marine Le Pen évoque la vente à l’unité des médicaments, Emmanuel Macron enverraient des étudiant en médecine faire de la prévention dans les écoles et entreprises, François Fillon abrogerait l’obligation d’appliquer le tiers-payant et Benoît Hamon veut faire reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle.

La place du patient est minime dans les programmes, même si le droit de mourir dans la dignité est proposé (par Benoît Hamon) et que Jean-Luc Mélenchon propose d’aborder la personne, dans son entier, plutôt que le « malade ». Emmanuel Macron veut renforcer le droit à l’oubli en réduisant à 5 ans au lieu des 10 ans actuels la période où un ancien patient doit mentionner son cancer ou son hépatite C (uniquement ces 2 maladies) pour souscrire un emprunt ou une assurance. Quelques maladies sont mentionnées : Emmanuel Macron parle du cancer en faisant référence aux facteurs de risque, Jean-Luc Mélenchon veut réformer les services psychiatriques (étrange qu’il ne s’intéresse qu’à ce sujet, en matière de réforme sanitaire), François Fillon souhaite continuer les plans existants (autisme, cancer, maladies rares) et Benoît Hamon mentionne les maladies chroniques et l’obésité quand il parle de séances d’activité physique sur ordonnance qui devraient être remboursées.

Ce qui frappe particulièrement est qu’il n’est fait aucune référence aux professionnels de santé autre que les médecins (pas d’infirmier, de pharmaciens, de dentistes…), que la plupart veulent augmenter le budget de santé, surtout dans le domaine du soin, mais sans vraiment dire d’où les fonds viendront : Marine Le Pen qui va faire des économies en supprimant « la gabegie financière », Jean-Luc Mélenchon souhaite changer le financement de la sécurité sociale, Emmanuel Macron va investir « massivement pour transformer l’hôpital » – les candidats vont « revaloriser », « transformer », « créer » mais sans indiquer comment, demain on rase gratis !

Dans le détail, ces cinq candidats font des propositions sur les thèmes suivants :

  • Le cadre dans lequel les soins de santé sont fournis : l’hôpital, chez les généralistes, les centres de soin (mise en commun des métiers et des ressources) et le rôle accru à donner au secteur primaire – dans un contexte de multiplication de déserts médicaux ; le rôle de l’eSanté est aussi un élément de 3 programmes
  • L’éducation/formation des médecins, le numérus clausus, leur rôle élargi ;
  • Les remboursements des soins et médicaments, et la sécurité sociale en général, le système de santé
  • La prévention des maladies ;
  • La santé et des facteurs environnementaux ;
  • La recherche et le rôle des labos pharmaceutiques.

L’un des thèmes majeurs,  hormis le fait qu’il faille augmenter le financement pour la santé, est l’accès aux soins dont l’organisation tant au niveau géographique que pour l’offre (nombre de médecins et remboursement) est traité par tous les candidats.

La place de l’hôpital et la qualité des soins et services qu’il offre sont au cœur de tous les programmes des candidats, c’est un enjeu fort de leur programme, si l’on s’en tient aux nombres de mesures proposées, reflétant une préoccupation majeure des citoyens. Si tous veulent investir, ou maintenir l’offre actuelle, avec la notable différence du programme de François Fillon, seul à mettre en avant la « qualité » sur la « proximité », ils proposent aussi de repenser le rôle du médecin de ville, pour alléger les charges sur l’hôpital, et développer les maisons médicales pour favoriser et la proximité des soins et la pluridisciplinarité.

Emmanuel Macron propose d’investir 5 milliards d’euro dans un « plan à la santé », pour transformer le secteur primaire (soins ambulatoires, dit « de ville ») et le secondaire (l’hôpital), François Fillon de créer un label « Hôpital France », Benoît Hamon propose de multiplier les planning familiaux – c’est d’ailleurs, de tous les candidats, celui qui fait les propositions les plus concrètes. Pour résoudre le problème des déserts médicaux, il retira le conventionnement aux médecins qui s’installeraient dans des zones (sans préciser ville, région ou département) déjà surdotées alors que Jean-Luc Mélenchon propose lui des incitations (dont, financières) à l’installation, tandis que Marine Le Pen enverra les internes y faire des stages. Jean-Luc Mélenchon propose, de façon un peu utopiste, d’avoir une offre publique de soin à proximité de tous (« tous les bassins de vie seront dotés d’équipements publics de santé en rapport avec leur population»), qui passera sans doute, comme pour les autres candidats, par les maisons de soin.

En parallèle, le rôle du médecin, en particulier, généraliste est dans quatre des programmes sauf ceux d’Emmanuel Macron et de Benoît Hamon ; ils proposent des mesures tant sur leur salaire (Jean-Luc Mélenchon), l’augmentation du numerus clausus, voire sa suppression que sur leur formation et leur rôle dans la prévention des maladies (François Fillon) – le retour de la médecine scolaire et en entreprise est une surprise.

En matière de remboursement de soins, les propositions se concentrent sur les appareils auditifs, les soins dentaires et les lunettes, qui seraient remboursés à 100% (par qui ? assurance santé et mutuelles ou seulement la première ? combien de fois par an ?), François Fillon limitant le remboursement total des lunettes aux enfants, puis se contredisant un peu plus loin dans son programme, quand il parle de « reste à charge 0 pour les dépenses de santé les plus coûteuses : optique, prothèses dentaires, audioprothèses ». Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen vont plus loin en affirmant qu’ils offriront un remboursement intégral à 100 % des dépenses de santé couvertes par la Sécurité sociale. Benoît Hamon souhaite que des activités sportives prescrites par un médecin pour les patients atteints d’une affection de longue durée soient aussi prises en charge par l’assurance maladie. Jean-Luc Mélenchon y ajoute la prise en charge totale et gratuite de la contraception et de l’IVG ainsi que pour le manque d’autonomie, dans sa partie soin. Il supprimera aussi les forfaits et franchise.

On peut regretter qu’une fois encore, il soit fait peu de place à la prévention des maladies, ou que les mesures soient limitées : Benoît Hamon souhaite un plus grand contrôle des interdictions de vente (tabac et alcool) aux mineurs, et de l’alcoolémie au volant et un « grand plan national sport et santé » pour développer l’accès au sport et prévenir les maladies chroniques. Emmanuel Macron enverra des étudiants en médecine dans les écoles et entreprise pour des actions de prévention (sous le label « service sanitaire »), tandis que Jean-Luc Mélenchon réserve la prévention aux mutuelles sans plus d’explications et que Marine Le Pen n’en parle pas. François Fillon propose un « Plan à l’Ecole » centré sur l’éducation à la santé des enfants (nutrition, activité physique, sommeil) et sur la prévention des addictions ainsi que le remboursement d’une consultation de prévention tous les deux ans pour tous les Français [NB : pas les étrangers].

La santé et l’environnement sont abordés par Emmanuel Macron et Benoît Hamon qui veulent s’emparer du problème des perturbateurs endocriniens et des pesticides, Benoît Hamon souhaitant leur interdiction immédiate pour les plus dangereux. Le retrait de Yannick Jadot de la course à la présidentielle pour un report sur Benoît Hamon se voit aussi dans les propositions de grande conférence santé-écologie et l’interdiction du diesel à l’horizon 2025.

C’est dans la façon de réorganiser certains domaines du système de santé qu’il y a le plus de variétés :

François Fillon va développer les parcours de soins, mettre en place le dossier médical partagé, abroger l’obligation d’appliquer le tiers payant, faciliter l’accès des seniors à une assurance complémentaire de qualité en améliorant l’aide à l’acquisition d’une couverture santé (ACS) et faire 20 milliards d’euro d’économies en 5 ans, en « luttant contre toutes les sources de non-qualité du système de santé ». Il propose de supprimer l’aide médicale d’Etat (AME) sauf pour les cas d’urgence et les maladies graves ou contagieuses, et remplacer l’AME par une dispense de frais de santé strictement contrôlée.

Benoît Hamon inclut dans son programme un Droit à la santé (ainsi que JL Mélenchon) universel sans que l’on sache de quoi il s’agit ni sous quelle forme légale ce droit se matérialisera. Il souhaite une modification de la répartition de l’aide à l’accès aux complémentaires santé.

Jean-Luc Mélenchon, constant dans ses vues, fera de la lutte pour la santé au travail une cause nationale, accompagnée d’un réinvestissement « massif » de l’Etat dans la médecine du travail. Suivant cette même idée, il redonnerait à la santé publique, à la promotion de la santé et à la prévention « les moyens qui leur font défaut, notamment en matière d’étude et de recherche ». Il se penche aussi sur l’administration de la santé en proposant la suppression des Agences Régionales de Santé, remplacées par des instances avec les personnels et les professionnels, les élu(e)s et les citoyen(ne)s.

Marine Le Pen se concentre sur les économies : suppression de l’AME car cela concerne les migrants, elle souhaite aussi une simplification de l’administration du système, en luttant contre le gâchis ou la mauvaise administration et en investissant dans les nouveaux outils numériques – la modernisation du système de santé passe aussi pour elle, dans les startups françaises et la protection de la dualité santé publique et libérale. Elle ajoute qu’elle protégera le maillage territorial des acteurs indépendants de la santé et réorganisera le rôle et les obligations des agences de sécurité sanitaire et alimentaire.

Le domaine de la recherche et du médicament sont abordés de façon protectionniste par François Fillon qui insiste sur le côté français dans ses propositions : incitations aux entreprises pharmaceutiques pour faire leur recherche sur le territoire et promotion du rôle de leader de la France dans le domaine des bio-techs. Par contraste, Jean-Luc Mélenchon lui veut renforcer le secteur public car il rejette la trop grande influence politique des labos (en particulier dans le domaine de la formation des médecins) et propose donc la création d’un pôle public du médicament avec au moins une entreprise publique qui interviendra sur la recherche, la production et la distribution des médicaments. Marine Le Pen fera encore plus de place aux médicaments génériques pour contrer le prix élevé de certains médicaments, et François Fillon veut favoriser la mise sur le marché rapide des médicaments les plus innovants – le fameux « adaptive pathway » que l’Agence Européenne des Médicaments (EMA) appelle de tous ses vœux, malgré les risques encourus pour le patient, car les contrôles et essais sont réduits et raccourcis ou faits alors que le médicament est déjà sur le marché.

En conclusion, il y beaucoup de bonnes idées dans les programmes, même si elle ne sont pas nouvelles ou très modernes ; il serait difficile, voire impossible, de mettre quelques-unes en place sans un changement radical et de notre budget et/ou des mentalités. Il reste que les propositions faites ne nous semblent pas répondre aux attentes des Français qui placent le sujet santé plus haut dans leurs priorités que les candidats (surtout Emmanuel Macron), pour qui elle semble bien bas dans leur plan pour la France. Tant dans la quantité que dans le contenu des mesures, il apparaît que les candidats ne soient pas assez à l’écoute des Français. Comment, dans ce cas, faire son choix de votre sur la base des programmes santé ? Aux citoyens maintenant de se mobiliser pour que leurs ambitions en matière de santé deviennent une réalité politique.

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